LES JARDINS OUVRIERS
Comme je vous l'avais promis en début d'année , nous allons faire une petite incursion en banlieue , précisément à Aubervilliers , afin de découvrir ensemble la passionnante histoire des Jardins Ouvriers et tout particulièrement ceux d'Aubervilliers- les- Vertus .
Les jardins ouvriers sont étroitement liés à la révolution industrielle et à l'urbanisation qui en découle . La révolution industrielle , initialement britannique , s'est étendue à la France à partir de 1815 pour connaitre une croissance continue jusqu'en 1860 . Fortement agricole la France à besoin de main-d'œuvre dès 1840 pour les usines et fabriques en plein développement . Cela implique une migration de la main-d'œuvre traditionnellement agricole des zones rurales vers les zones urbaines nouvellement constituée . A l'initiative des patrons alsaciens à la fin du XIXème siècle , les premiers jardins sont uniquement potager et apparaissent comme un moyen de fournir un apport alimentaire à des ouvriers qui vivent entassés dans des logements souvent insalubres et qui de ce fait avaient du renoncer à leur ancien mode de vie rural .
Les jardins ouvriers dans leur conception de la fin du XIXème siècle , sont des lotissements collectifs regroupant des parcelles dissociées de la maison d'habitation et destinées aux habitants d'immeubles collectifs des zones urbaines . Le catholique conservateur Frédéric Le Play ( 1806-1882 ) évoque en 1855 dans son ouvrage " Les Ouvriers Européens et en 1864 dans " La Réforme Sociale " , les vertus de l'accession à la propriété et de l'attachement au sol , vertus auxquels étaient profondément attachés ces hommes et ses femmes venus de nos campagnes .
Frédéric Le Play
C'est le Britannique Ebenezer Howard ( 1850-1928 ) qui eu, le premier , l'idée de mettre " les villes à la campagne " en imaginant les " Cités Jardins " avec en leur centre dispensaire , commerce , salle de spectacle etc. En France des patrons industriels construisirent pour leurs employés des " Cités Ouvrières " associant maison et petit jardin ( les cités minières du Nord en sont un parfait exemple ) . On peut encore voir aujourd'hui deux Cités Jardins qui ont été restaurées en région parisienne aux Lilas et à Stains .
Cité Jardin de Stains
En 1870 la proclamation de la IIIème République , soutenue par le Pape Pie IX , participe au développement d'un courant catholique proche du prolétariat à travers un groupe " d'abbés démocrates " ; tels l'abbé Trochu qui crée l'Ouest-Eclair , l'abbé Dabry fondateur de la Vie Catholique ou bien encore l'abbé Lemire député Hazebrouck qui sera le " Père " fondateur des Jardins Ouvriers . Il fonde en 1896 afin de voir triompher ses idées la " Ligue du Coin de Terre et du Foyer " , outil de pression pour défendre son projet législatif : " La garantie pour chaque famille de la propriété d'une terre et d'une maison " . Les jardins ouvriers sont crées afin de répondre aux besoins immédiats des familles les plus démunies en attendant que la loi aboutisse. C'est aussi un moyen pour montrer le rôle essentiel et bienfaiteur que ces jardins ont sur l'homme , tant sur le plan économique hygiéniste et moral en le détournant des fléaux sociaux et tout particulièrement de l'alcoolisme !!! Il faut néanmoins rappeler que , bien que l'abbé Lemire soit à l'origine du développement des jardins ouvriers , avant lui , Mme Hervieu Félicie , dame d'œuvre à Sedan , avait eu l'idée de mettre gratuitement des lopins de terre à la disposition des pauvres . Elle met en place en 1891 les premiers jardins ouvriers qu'elle structure en 1893 au sein d'une organisation officiellement nommée " Œuvre de reconstitution de la famille " . C'est un succès immédiat , on passe de 27 familles avec 145 membres en 1893 , pour atteindre en 1898 125 familles avec 530 personnes !!!
L'Abbé Lemire Maison natale de l'abbé Lemire à Hazebrouck
L'abbé Lemire reste toutefois le " Père " des jardins ouvriers grâce aux actions qu'il met en œuvre pour les développer et encourager les créations déjà existantes . Au vu des résultats dérisoires de ses projets sur la propriété ouvrière , la Ligue de Coin de Terre ne se consacre plus désormais exclusivement qu'aux jardins ouvriers . Le fonctionnement des jardins repose sur plusieurs principes : - un groupe de gestion est crée sous l'égide des comités locaux , - les jardons sont ensuite concédés à des familles modestes , - il existe un système de location ( ou de propriétés ) collective avec jouissance divise des parcelles . Sous l'impulsion de l'abbé Lemire et des comités locaux , les œuvres et les jardins se multiplient . En 1907 , la ligue est implanté dans 73 départements , en 1909 , Le Nord fief électoral de l'abbé Lemire , compte 6709 jardins répartis en 109 œuvres . Après un timide développement au début du siècle , La première Guerre Mondiale est l'élément déclencheur de leur croissance pour répondre à un réel besoin de subsistance , surtout dans les zones occupées . En région parisienne , bon nombre de jardins ouvriers sont créés sur les glacis des forts , concédés par la ville de Paris et le Génie Militaire ; comme à Aubervilliers , Saint-Denis , Saint-Ouen , Pantin et Ivry-sur-Seine .
Durant l'entre-deux guerres , l'accroissement des jardins ouvriers est sans précédent !!! En 1912 la Ligue gère 17 825 jardins , 47 000 en 1920 et 56 700 en 1927 . Palliant les difficultés d'approvisionnement en fruits et légumes et la misère des familles ouvrières , ils fleurissent tout particulièrement dans le Nord de la France . A la fin de la Deuxième Guerre mondiale on en dénombre près de 250 000 , c'est l'apogée des jardins ouvriers . On peut dire que : " Le jardin ouvrier , c'est la campagne du travailleur , l'équivalent populaire de la villa où son riche patron va se reposer le dimanche " . L'activité rurale du jardinage est associé au loisir en opposition avec l'activité urbaine industrielle associée au travail . Le jardin devient un lieu de repos le dimanche où on y organise des fêtes . La fonction alimentaire première n'est plus exclusive , les lotissements de jardins deviennent ainsi un lieu de sociabilité où se développe une culture propre mêlée d'individualisme et de collectif . Pendant la Seconde Guerre , sous le régime de Vichy , les jardins ouvriers sont bénéficiaires de subventions de l'État , cela s'explique en grande partie par le contexte de pénurie alimentaire dans lequel se trouve la France . C'est aussi l'héritage de l'idéologie pétainiste " Travail-Famille-Patrie " . C'est l'époque où la moindre parcelle est cultivée 600 000 jardins sont recensés dans toute la France .
Au lendemain de la guerre , les œuvres d'assistance se désintéressent des jardins ouvriers et leur nombre commence à décroître sérieusement . D'une part , les priorités de la reconstruction sont ailleurs , d'autre part l'appropriation des jardins ouvriers par l'idéologie pétainiste reste ancrée dans la mémoire collective . En 1950 on ne recense plus que 200 000 parcelles en France . Le jardin devient " familial " et non plus " ouvrier " pour enlever la connotation prolétaire qui s'y rapportait . La vocation alimentaire est est un peu éludée avec une condition de vie un peu meilleure . Les jardins sont alors considérés comme un apport d'agrément . Ces jardins avec leur aspect hétéroclite sont parfois remis en cause comme des éléments de désordre , de bricolage , voire de " pollution visuelle " . Souvent associés à des périodes de misères révolues ou à l'idéologie pétainiste , ils trouvent peu de défenseurs et tombent en déclin . L'heure est à la réalisation d'espaces verts bénéficiant auprès des habitants d'une meilleure image et accompagnant les grands ensembles nouvellement construits . Depuis les années 1980 et la notion d'écologie faisant jours ils redeviennent à la mode et sont diversifiés en terme d'objectifs :jardins ouvriers , familiaux ( terme que l'on préfère ) , pédagogiques , d'insertion partagés etc. Depuis 2003 ils sont regroupés sous le terme officiel de Jardins Collectifs . Les nouveaux jardins collectifs ont perdus tout leur charme d'antan , ce sont désormais des parcelles toutes identiques avec le même petit cabanon pour chacun des sociétaires. L'abbé Lemire serait heureux de voir que " ses " jardins ont aujourd'hui reconquis une légitimité et une place dans l'espace urbain . Je suis sur qu'avec l'évolution croissante de l'écologie et le désir de manger des produits cultivés biologiquement les jardins collectifs ont encore un bel avenir devant eux .
JARDINS OUVRIERS DES VERTUS D'AUBERVILLIERS
Depuis 1906 les glacis du fort d'Aubervilliers sont occupés par des jardins ouvriers . Le Fort d'Aubervilliers d'une superficie de 33.5 hectares , est construit de 1843 à 1847 sur le territoire de Pantin . Il fait partie des ouvrages décidés en 1840 par Thiers afin de protéger Paris et le cas échéant mater les rébellions . En 1851 il est annexé à Aubervilliers , Il sera en partie détruit par les bombardements de l'armée prussienne en 1870 et les combats de la Commune l'année suivante . Ce fort a abrité Pierre et Marie Curie et ses recherches sur le radium dans les années vingt , puis celles du Ministère des Armées , en marge des essais nucléaires menés dans le désert algérien . Aujourd'hui désaffecté , il est l'objet de nombreuses convoitises . Des projets de réaménagement , sans doute freinés par le coût que nécessite une décontamination complète du site , sont en cours d'étude par la municipalité d'Aubervilliers , au sein desquels les jardins ouvriers sont l'objet d'enjeux à la fois économiques , sociaux et environnementaux . Que va-t-il advenir alors des ces territoires chargés d'histoires et de cultures ?
La Société des Jardins Ouvriers des Vertus a été crée en 1935 . Ce nom évoque le passé maraîcher d'Aubervilliers à l'époque où l'on cultivait sur la plaine des Vertus des variétés légumières connues et très appréciées aux Halles Centrales de Paris . Ils figurent encore aujourd'hui dans les catalogues de pépiniéristes renommés ( Chou "Milan des Vertus "- Oignon "jaune paille es Vertus " et Navet "pointu des Vertus" ) .
La terminologie "des Vertus " provient du nom de l'église d'Aubervilliers : Notre-Dame des Vertus , construite au XVème siècle en témoignage de reconnaissance à la Vierge pour le " miracle de la pluie " qui se serait produit en 1336 . On raconte que cette année connue une sécheresse telle que les légumes et les fruits grillaient sur le sol avant d'avoir atteint leur maturité . Les prières et les processions n'avaient pu conjurer cette calamité . La fille d'un maraîcher adressa une prière fervente à une statue de la Vierge qu'abritait la petite chapelle Saint-Christophe d'Aubervilliers . Elle vit soudain la statue se couvrir d'une sueur abondante pareille à la rosée qu'en se retirant la nuit laisse sur les fleurs . Quand la jeune fille sortit , la pluie bienfaisante , l'averse tant désirée crépitait sur la plaine et une grande partie des récoltes fut sauvée
Ces jardins ouvriers occupent 84 parcelles (dont la superficie varie de 170 m² à 500 m² ) sur des terrains gérés par l'Agence Foncière et Technique de la région Parisienne . L'association est composée de 84 adhérents jardiniers . Chaque début d'année, en fonction de la liste d'attente , de nouveaux jardiniers intègrent l'association lorsque des parcelles se libèrent .Trois sur quatre habitent Aubervilliers ou Pantin , les autres proviennent des communes limitrophes . 80% appartiennent aux classes populaires , ils sont ou étaient des ouvriers ou des employés , dont une petite moitié est encore en activité . Les femmes représentent 15% de l'ensemble des sociétaires . La plupart des jardiniers ont connu la vie à la campagne ou à la montagne aussi bien en France qu'à l'étranger . Beaucoup y ont vécu leur enfance ou une partie de leur jeunesse et ont déjà travaillé la terre . C'est pour eux une façon de renouer avec leur racines paysannes .
Au 84 parcelles individuelles s'ajoute une parcelle collective ( 63 sur le plan ) comprenant un bureau de l'association , une pelouse permettant d'installer une table et des chaises pour des événements spécifiques set un petit terrain de boules . Six points d'eaux sont répartis sur l'ensemble du territoire et sont utilisés par les jardiniers lorsqu'ils ont épuisés leur réserves personnelle . C'est la municipalité d'Aubervilliers qui prend en charge le coût de l'eau .
Le charme de ces petits jardins ouvrier tient au fait qu'aucun principe de standardisation est imposé , comme il l'est aujourd'hui dans les nouveaux jardins collectifs avec une cabane identique sur toutes les parcelles . Aucune cabane ne se ressemble . Elle est de construction précaire , souvent à partir de matériau de récupération ( planches , tôles , plastiques divers ) . Elle est indispensable pour ranger les outils et le matériel nécessaire au jardinage , mais elle a aussi la fonction de constituer un " petit chez soi " et constitue un cadre personnel qui confère à ce site un caractère pittoresque à aucun autre pareil et qui en fait son charme et sa richesse . Seuls quelques directives sont à respecter : les jardins sont destinés à la culture de légumes , d'arbres fruitiers et de fleurs uniquement pour une consommation familiale . La commercialisation des produits est interdite . Les cabanes doivent être de petite construction légères et de dimensions réduites . La récupération de l'eau de pluie dans des bidons ou des cuves et la confection de compost sont des usages auxquels les jardiniers sont très attachés !!!
Chaque parcelle comprend plusieurs arbres fruitiers ( en moyenne 4 ou 5 ) souvent greffés par les soins des jardiniers eux-mêmes : cerisiers , abricotiers , pruniers , pommiers poiriers , pêchers , figuiers , vignes et autres néfliers et actinidias ( arbres produisant les kiwis ) participent à l'agrément des jardins . Les arbustes à petits fruits comme les framboisiers , groseilliers et cassissiers ont également leur place . De nombreux jardiniers agrémentent leurs parcelles avec des fleurs , de magnifiques rosiers s'y épanouissent !!! On y autorise également l'élevage de petits animaux comme les poules , les pigeons , les lapins et les canards .
Nombre d'entrées sont prolongées par des tonnelles parfois couvertes de plantes grimpantes telle la vigne vierge ou la passiflore ; elles permettent d'ombrager un entrée ou de protéger de la pluie . Des fleurs agréablement disposées donnent des notes de couleurs au jardin . Un coin pelouse avec des tables et des chaises sans oublier le barbecue sont les compléments indispensables de la convivialité entre voisins , amis ou la famille .
Chaque année vous pouvez visiter ces Jardins ouvriers lors de la Fête du Patrimoine organisé par la Direction Générale des Affaires Culturelles . De plus des " journées portes ouvertes " sont régulièrement organisées par la ville d'Aubervilliers . Ne manquez pas de vous y rendre !!! C'est à l'occasion de l'une d'elles que j'ai pu les redécouvrir . Un accueil chaleureux vous y attends !!! Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Françoise et Mme Eliane qui m'ont accueilli avec une rare gentillesse . Elles m'ont permis grâce à toutes leurs explications de mieux connaître l'histoire de ces Jardins Ouvriers des Vertus . Ces jardins ouvriers offrent un paysage avec des spécificités historiques , sociales et environnementales , qui lui confère une place toute particulière dans le patrimoine de notre département . Ils sont une passerelle entre le passé et l'avenir . J'espère qu'ils continueront longtemps encore à faire la joie et le bonheur à de nombreuses générations de jardiniers .
Bibliographie : Patrimoine en Seine-Saint-Denis " Les Jardins Ouvriers " .