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LE PIETON DE PARIS
12 avril 2011

LES REGARDS DE BELLEVILLE

  Lors de vos promenades dans le quartier de Belleville , vous n'avez pas été sans remarquer d'étranges petites constructions en pierre ayant la forme d'une maisonnette . Il s'agit des anciens regards permettant d'observer l'une des nombreuses sources qui jaillissait des hauteurs de Belleville .

   Savies , ancien nom de Belleville , était une demeure rurale appartenant au domaine royal . Le plateau de Belleville-Ménilmontant, qui est la partie occidentale du grand plateau de Romainville-Les Lilas, oscillant entre 95m et 130m d'altitude, est coiffé d'une couche sableuse qui repose sur sous-couche quasi-horizontale de marnes vertes imperméables . Cette dernière arrête et recueille toutes les eaux d'infiltration, qui réapparaissaient à l'origine (avant l'urbanisation) sous forme de multiples suintements tout au long du rebord du plateau. A la recherche de ressources en eau à un débit suffisant et à pression constante, afin d'alimenter les thermes nouvellement construits à Lutèce, les Romains au IIe siècle reconnurent d'abord les différentes sources existant aux alentours : sur les collines d'Auteuil, de Montmartre, de Belleville-sur-Sablons. Ces dernières, jugées les plus intéressantes, furent captées au moyen de nombreux drains en pierre enterrés convergeant vers un bassin. Ces ouvrages à l'efficacité certaine disparurent après les invasions successives des barbares. Ce tout premier aqueduc tomba ensuite dans l'oubli . 

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  Ces terres furent distribuées au fil du temps aux différentes congrégations religieuses : les abbayes de Saint-Maur et de Saint-Magloire, d’abord , puis plus tard , à l'église  Saint-Merri , au  prieuré de Saint-Martin des champs, celui de Saint-Lazare, et à la Maison du Temple . Ces congrégations religieuses y trouvaient un avantage de choix : l'approvionnement en eau . En effet l’eau a toujours été rare à Paris, et la colline de Savies offrait l’avantage de contenir plusieurs sources captables. afin de subvenir aux besoins de personnes dont elles avaient la charge. Les bourgeois de Paris y construisent leurs maisons de campagne dans les localités connues sous les noms de « la Courtille », le « Fief des Bruyères », et « Mesnil Mautemps ». Pendant ce temps, les carrières des Buttes-Chaumont entraînent un accroissement de la population ouvrière. Au XIIe siècle apparaît le village de Poitronville caractérisé par ses prairies, ses vignes et ses sources qui alimentent les fontaines de Paris. Poitronville est largement détruite par la Guerre de Cent ans et connaît une période de décroissance suite aux épidémies et une main-d’œuvre réduite. Afin d’inciter les cultivateurs à rester, des terres seront distribuées, la dîme réduite et les taxes foncières exemptées . Le nom de Belleville apparaît au XVème siècle et le village connaît une période de prospérité jusqu’à la Guerre de Religion. La position stratégique du village le rendant particulièrement vulnérable, il a été largement détruit.

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        Belleville - 1805               Belleville - 1829               Barrière de Belleville

   Rues des Rigoles , de la Mare , de la Duée , des Cascades rappellent combien Belleville et ses alentours étaient riches de sources jaillissant un peu partout . Il fallut attendre l'an mil pour que les moines du prieuré de Saint-Martin-des-Champs en construction, éloigné de la Seine et ne pouvant se satisfaire de quelques puits pour le service d'une centaine d'âmes, s'intéressent à la colline toute proche. En prospectant les lieux, ils redécouvrirent les anciens drains enterrés mais ceux-ci étaient endommagés ou colmatés. Ils entreprirent sa restauration et ce nouvel aqueduc aboutit à Ménilmontant à un bassin de réception protégé par un édicule couvert : il s'agit du regard Saint-Martin qui, restauré à plusieurs reprises est parvenu jusqu'à nous . L'aqueduc dit " de Savies " perdura, restauré jusqu'au XVIIIe siècle. Une nouvelle prospection des eaux du plateau, au XIIe siècle, fut le fait des moines soldats appelés chevaliers de Saint-Lazare qui, rentrant de Terre Saint, rachetèrent l'ancienne Abbaye St-Laurent pour en faire une maladrerie. Ils réalisèrent deux nouveaux aqueducs dont celui du Pré-St-Gervais. Toujours au XIIe siècle, le roi Philippe Auguste donna aux Parisiens une halle centrale pour remplacer la foire Saint-Laurent (située hors les murs) ainsi qu'une fontaine qu'il fit alimenter par l'aqueduc St-Lazare, mais cette ressource se révéla rapidement insuffisante. Le roi décida alors d'un nouveau prélèvement direct sur la colline de Belleville, et à l'endroit le plus élevé. Il en résulta un nouvel aqueduc voûté partant de la source principale, où fut bâti le premier regard , le regard de La Lanterne (altitude 114m). L'édifice actuel (rue Compans) réalisé entre 1563 et 1613, est le plus monumental des regards existants aujourd'hui. L'aqueduc, qui plus bas prenait en écharpe le flanc du plateau jusque vers Ménilmontant, récupérait au passage de nombreux autres drains, collectés dans des bassins couverts, tels le regard des Messiers et le regard de la Roquette tous deux situés rue des Cascades. Cet aqueduc de Philippe Auguste est resté connu sous le nom d'aqueduc de Belleville, par opposition à ceux de Saint-Lazare et du Pré Saint Gervais . Les eaux de Belleville, ainsi acheminées par les trois aqueducs aux communautés religieuses et aux fontaines publiques, alimentèrent les Parisiens de la rive droite durant cinq siècles. De tout cela, il ne nous reste plus guère aujourd'hui que les quelques regards, plutôt émouvants par tout ce qu'ils évoquent, de Ménilmontant, Belleville et du Pré St Gervais.

   Reférences " Le Paris des parisiens en photos " .

 

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     Le regard de la Lanterne

  Le regard de la Lanterne , proche de la place des Fêtes , est le plus haut perché d'entre eux . Le sommet de la colline n'est pas loin , il se situe rue du Télégraphe à l'entrée du cimetière de Belleville , où il culmine à 128.50 m. et constitue le point culminant du domaine public parisien . Il était le regard de tête de l'aqueduc de Belleville . Sa construction commencée en 1583 fut achevé en 1613 , comme l'indique un texte gravé sur une plaque en marbre noir . Il était le regard de tête de l'aqueduc de Belleville . Le regard de la Lanterne , est un édifice en rotonde, en fortes pierres de taille .Le regard prend la forme d'un petit bâtiment en pierres, de forme cylindrique, couvert par une coupole Il est surmonté par un élégant lanternon ,lui-même en pierre , qui lui a donné son nom . Large de 4.70 mètres et haut de 8.80 mètres il est le plus grand regard subsistant de nos jours .

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  Son aspect extérieur l'a fait autrefois dénommer " regard de la Tour " ou " regard de La Chapelle " . A l'intérieur, un double escalier de pierre monumental descend vers le bassin qui reçoit les eaux drainées depuis le sommet de la colline. Le soin apporté à la construction de l'ensemble est remarquable . Enclavé au milieu d'immeubles modernes , il est bien caché aux yeux des promeneurs , le regard est accessible par le 3 rue Augustin Thierry et par le 213 rue de Belleville dans le 19ème arrondissement . Il est situé dans le jardin du Regard-de-la-Lanterne , auquel il donne son nom .

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     Le Regard Saint-Martin 

   A l'intersection de la rue des Cascases et de la rue des Savies , on découvre le regard Saint-Martin appelé aussi regard des Petites-Rigoles , unique regard des religieux du Prieuré de Saint-Martin-des-Champs . Sa date de construction reste inconnue . Le captage principal se situait vers l'actuelle place du Guignier et l'eau parvenait au regard par une petite galerie souterraine de 130 mètres , dont il n'en reste aujourd'hui qu'une quinzaine de mètres . De là , un tuyau d'environ deux kilomètres rejoignait le Prieuré de Saint-Martin-des-Champs où sera installé après la Révolution Française le Conservatoire National des Arts et Métiers . Cette eau était partagée avec ses voisins Templiers . Le texte en latin fixé sur le fronton du regard commémore d'importants travaux de restauration réalisés par les deux communautés religieuses en 1663 et en 1722 . En voici la traduction : « Fontaine coulant d'habitude pour l'usage commun des religieux de Saint-Martin de Cluny et de leurs voisins les Templiers. Après avoir été trente ans négligée et pour ainsi dire méprisée, elle a été recherchée et revendiquée à frais communs et avec grand soin, depuis la source et les petits filets d'eau. Maintenant enfin, insistant avec force et avec l'animation que donne une telle entreprise, nous l'avons remise à neuf et ramenée plus qu'à sa première élégance et splendeur. Reprenant son ancienne destination, elle a recommencé à couler l'an du Seigneur 1633, non moins à notre honneur que pour notre commodité. Les mêmes travaux et dépenses ont été recommencés en commun, comme il est dit ci-dessus, l'an du Seigneur 1722 »

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  On remarque également sur la façade deux reliefs très abimés . Lorsque le soleil donne un éclairage rasant on devine sur celui de gauche Saint-Martin sur son cheval , tendant la moitié de son manteau à un mandiant allongé à terre . Le relief de droite à été martelé et n'est plus reconnaissable . Il représentait les armes des religieux de Saint-Jean-de-Jérusalem , successeurs des Templiers . Le dauphin , futur Charles V , bénéficiait aussi d'une concession d'eau provenant des Savies pour son hôtel Saint-Pol , au coeur du Marais . Restauré à nouveau en 1804 , il sera classé monument historique le 4 novembre 1899 . Cet arrêté a été annulé à la suite du classement des " Eaux de Belleville " le 6 février 2006 .

   Le Regard de la Roquette 

  Le regard de la Roquette est située sur une traversée piétonnière accessible uniquement par locataires de l'Opac Il est accessible par le 38 rue de la mare et par le 41 rue des cascades dans le 20ème arrondissement . A l'emplacement du regard de la Roquette se trouvait autrefois le regard de la fontaine de " Sainct-Antoine " , mentionné dans un texte de 1429 . Il était à la tête d'un réseau particulier alimentant l'abbaye de Saint-Antoine-des-Champs . En 1575 , Philippe Huraut , comte de Cheverny , et futur chancelier du roi Henri III , s'installa au domaine de la Roquette , situé sur le trajet de cet aqueduc . En 1576 , il racheta ce réseau au religieuses de Saint-Antoine afin de le restaurer et de l'utiliser pour son usage personnel . Il reconstruisit le regard et fit mettre les armes de sa famille sur le fronton . Ce regard a été restauré en 1812 et bien entendu , tout comme le regard Saint-Martin classé Monument Historique . 

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      Le regard des Messiers

  Le regard des Messiers est situé dans un petit jardin pentu , accessible depuis le 17 de la rue des Cascades . Messier ( de " messis " , moisson , celui qui garde les moissons )  était le nom donné autrefois à l'ancêtre du Garde-Champêtre  sous l' ancien régime . Le regard des Messiers à la forme d'une maisonnette en pierre , au toit triangulaire . Comme c'est le cas pour le regard Saint-Martin et celui de la Roquette , l'accès s'effectue par une petite porte en bois ( depuis peu fermée ) située sur la façade . L'intérieur du regard comprend une vasque rectangulaire . Ce regard faisait partie du réseau desservant la Roquette indépendammant des dix lignes servies à partir du regard des Petites-Rigoles . Une inscription y mentionne qu'il fut reconstruit en 1811 . On y remarque aussi un petit dessin d'une tête de pompier , rappelant que l'eau de ces regars étaient parfois utilisée en cas d'urgence pour lutter contre les incendies . Bien évidemment , il est classé comme les autres regards encore visibles aujourd'hui monument historique . 

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  Sur une quarantaine de regards , tous différents , qui jalonnait la colline de belleville , dix-huit subsistent encore . A l'exception de ceux que nous venons de découvrir ensembles et qui sont encore visibles , les autres sont situés sous la chaussée comme par exemple ceux : du Chaudron ( autrefois visible dans la cour d'un immeuble au 6 rue de la Palestine ) de la Chambrette ( situé sous la chaussée au niveau des 42 et 44 rue de la Mare ) , Lecouteux ( 44 rue des Solitaires ) , de la Planchette ( situé sous la chaussée au niveau du 33 rue de la Mare )  , du Zouave ( situé sous la chaussée au niveau du 11 rue de la mare ) et de Saint-Louis ( situé sous les immeubles des 165 et 167 rue de Belleville ) , pour ne citer que les principaux !!! 

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           Regard du Chaudron              Regard Lecouteux 

  Bien que ne se trouvant pas à Belleville n'oublions pas l'aqueduc du Pré-Saint-Gervais qui acheminait l'eau de la colline vers le prieuré Saint-Lazare . Le sol sablonneux des collines de Romainville et du Pré Saint-Gervais recouvre une couche impénétrable de glaise imperméable à l’eau sur laquelle glissent les eaux de ruissellement et de pluie. Celles-ci suintaient à certains endroits. Les Parisiens ont depuis longtemps songé à tirer parti, pour leur consommation, de ces sources.  comptait treize regards dont quatre subsistent : le regard du Trou-Morin ( au Pré-Saint-Gervais, à l'angle de la rue Edouard-Vaillant et de la sente des Cornettes) , le regard des Maussins ( remonté aujourd'hui boulevard Sérurier , à coté de la Porte des Lilas ) , le regard des Bernages ( au Pré-Saint-Gervais, avenue du Belvédère ) , le regard Central dit Fontaine du Pré-Saint-Gervais , tête de l'aqueduc du Pré-Saint-Gervais ( place de la Mairie  ) .

                                                                

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           Regard Central              Regard des Maussin          Regard du Trou-Morin 

 

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                                                                     Regard du Bernage 

   Profitez de l'arrivée des beaux jours pour partir à la découvertes de ces petits regards disséminés dans  Belleville et le Pré-Saint-Gervais . 

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Commentaires
R
Beaux regards et belle vue sur un passé hélas réduit en poussière. Ce qui étonne, c'est qu'ils aient pu subsister farouchement au milieu d'une impitoyable bétonnisation des paysages. Pourquoi les avoir ainsi préservés et pourquoi... pas d'autres traces ?
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B
Bonjour<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Dans le cadre de la création de son site internet et d'un journal ( gratuit) sur la mémoire du quartier Belleville 20ème , le conseil de quartier Belleville a établi un document sur l'ensemble des rues qui composent son quartier . Pour ce faire un certain nombre de documents pris sur internet ont été nécessaires . Nous avons trouvé sur votre site des informations sur les regards de belleville qui nous intéressent . Nous vous remercions par avance de nous autoriser à reproduire ces informations ( en indiquant bien entendu leur provenance) <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> Très cordialement<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> pour le conseil de quartier Belleville : Christian Ben Tolila
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T
Passionnant billet ! On a envie de courir sur place afin de voir en 3D les images que vous présentez. Surtout l'intérieur du "Regard de la Lanterne". J'adore cette dénomination ! Pour une amoureuse de luminaires telle que moi, c'est une image très poétique. Visitez les dessous de Paris fait partie de mes rêves non encore réalisés.<br /> <br /> J'attends "Le regard des Messiers" avec impatience. Notez bien,je n'ai pas dit "le regard des Messieurs" ;-)<br /> <br /> à très bientôt, cher Piéton
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