LE COLLEGE DES BERNARDINS
Si Paris "vaut bien une messe" comme le disait le bon Roi Henri , Paris vaut bien un petit détour au cœur du Quartier Latin , rue de Poissy , afin de visiter l'ancien Collège des Bernardins récemment restauré . C'est réellement une pure merveille dont nous allons découvrir ensemble la prodigieuse histoire . Il est curieux de noter qu'ici l'histoire se répète puisque l'École Cathédrale , voulue par Mgr Lustiger , passe de nouveau comme au Moyen-âge , où l'École Épiscopale se trouvait dans le cloître Notre-Dame , dans les locaux de la Cité à la rive gauche de la capitale . C'était à l'origine , et durant plusieurs siècles , un haut lieu d'études . Il le redevient . Lieu d'approfondissement de la Foi , il est aussi celui d'une ouverture au monde non chrétien en s'affirmant comme un espace de transition et de dialogue . En cela , il associe sa vocation la plus ancienne aux évolutions de notre temps et de la société actuelle .
Il est situé dans ce que l'on appelle encore aujourd'hui le Quartier latin . Appellation médiévale qui provient du grand nombre d'étudiants et de professeurs qui parlaient ce qui fut la langue internationale , et la langue culturelle , d'une bonne partie de l'Europe jusqu'au 18e siècle . L'Université de Paris , l'une des plus prestigieuse , depuis le 13ème siècle , ainsi que de nombreux collèges étaient établis ( et le sont encore ) dans ce quartier . C'est un héritage du Moyen-Age , période ou la chrétienté était une réalité irriguant la société .
Ce collège dont les intéressants vestiges se classent en tête de ceux des monuments parisiens du Moyen-âge a été fondé en 1244 , sur l'enclos du Chardonnet , par Etienne de Lexinton , religieux de Cîteaux et Abbé de Clairvaux .
C'est au début du XIIéme siècle que l'Abbé de Clairvaux , Etienne de Lexington né d'une puissante famille en Angleterre , décide avec l'accord du Chapitre Général des cisterciens de fonder un collège à Paris pour former des religieux de cet ordre également connu sous le nom de Bernardins . L'ordre de Cîteaux était une congrégation religieuse émanée en 1098 de l'ordre de Saint-Benoît . Le nombre de ses religieux devint bientôt tel que l'Abbaye de Cîteaux dut créer quatre abbayes filiales : Morimond , La Ferté , Pontigny et Clairvaux. Clairvaux avait eu pour premier Abbé Saint- Bernard , moine de Cîteaux , d'où le nom de " Bernardins " donné aux religieux de Clairvaux .
Ses Abbayes "filles" donnèrent naissances à de nombreuses communautés dont certaines comme celle de Port-Royal resteront célèbres . L'Orde de Cîteaux comportait à la Révolution 1800 monastères d'hommes et 400 monastères de filles . Les cisterciens portaient un vêtement blanc , alors que les autres bénédictins étaient en noirs . La règle que leur avait imposé Saint-Bernard était particulièrement sévère . Etienne de Lexington avait fondé ce collège afin de développer l'instruction des religieux de son Abbaye qu'il ne voulait pas voir exposés au mépris des frères prêcheurs , dominicains , cordeliers et autres religieux faisant profession de sciences .
Etienne de Lexington acheta donc des terrains considérés jusqu'alors comme insalubres car envahis régulièrement par les innondations de la Bièvre . Le corps principal du collège fut achevé vers 1253 . Il comprends alors plusieurs bâtiments sur quatre niveaux avec salles de cours , réfectoires et dortoirs . Pour éviter que le bâtiment ne s'enfonce sosu son propre poids dans cette zone marécageuse , les cisterciens font reposer les fondations sur des politis de chêne . Alphonse de France , frère de Louis IX , en devint bientôt le protecteur et offre une rente afin d'entretenir vingt à trente religieux .
Ce collège fonctionna près d'un siècle . En 1320 , l'Abbé et les religieux de Clairvaux cédèrent cet établissement à l'Ordre des Cisterciens . Ce collège est alors ouvert à tous les cisterciens jugés aptes à recevoir une bonne instruction . Ceux ci furent si nombreux qu'on dut construire à partir du 24 Mai 1338 en place de l'ancien collège , un nouveau , bien plus grand , avec l'aide du Pape Benoit XII , ancien religieux de de Cîteaux , professeur au primitif collège ( ce Pape , de son vrai nom Jacques Fournier était fils de boulanger ) . Il encouragea la construction d'une sacristie et d'une église à partir de 1338 ; cette dernière resta inachevée .
Le nouveau collège des bernardins , celui dont les vestiges existent encore , s'étendait , d'une part de la rue des Bernardins , où était son entrée , jusqu'au collège du Cardinal-Lemoine , qui le séparait du rempart , et , d'autre part , de la rue Saint-Victor jusqu'à proximité de la Seine et du couvent des Miramiones dont le jardin touchait le sien . Il était entouré d'un haut mur de 8 mètres , afin que les élèves ne puissent le sauter !!! En 1698 un incendie ayant détruit le dortoir situé au premier étage du bâtiment qui subsiste , cet étage fut refait . Ce bâtiment était contigu par une de ses extrémités à la sacristie encore reconnaissable par les grandes arcades qui embrassent son rez-de-chaussée et l'étage . On construisit un escalier permettant d'accéder du dortoir à la chapelle en passant au dessus de cette sacristie . Cet escalier était à vis double puisqu'il portait deux escaliers enclavés dans le même noyau et ayant chacun deux portes : deux personnes pouvaient monter ou descendre en même temps sans se voir . Il fut pendant un siècle une grande curiosité de Paris . La chapelle faisait suite à la sacristie , mais elle était perpendiculaire au bâtiment actuel et à la sacristie ; son chevet affleurait l'actuelle rue de Poissy et sa façade l'actuelle rue de Pontoise . En 1710 , cette chapelle s'enrichit des boiseries du maître-autel et des stalles provenant de la démolition de l'Abbaye de Port-Royal-des-Champs .
Le Collège des Bernardins , qui avait bien perdu de son importance première , fut amputé en 1772 , de sa partie avoisinante de la Seine sur laquelle on installa la Halle aux Veaux que longèrent deux rues également percées sur le terrain du collège les rues de Poissy et de Pontoise , lesquelles s'arrêtaient alors à la Place aux Veaux .
Rue des Bernardins Halle aux Veaux Rue de Poissy
Ce collège fut supprimé en 1790 . Confisqué par les révolutionnaires il devint " bien national " tandis que les derniers moines qui restaient furent chassés . Son dortoir sera un dépôt de farine . Son cloître servit de prison pour les galériens jusqu'alors incarcérés au château de la Tournelle . Il y en avait 73 lorsque eurent lieu , à partir du 2 septembre 1792 , le massacre des personnes enfermées dans les différentes prisons de Paris . Ces 73 galériens furent pris par les sans-culottes du quartier pour des religieux déguisés et , sauf trois , ils furent tous massacrés . La chapelle fut démolie en 1797 , les rues de Pontoise et de Poissy furent prolongées en 1810 à travers l'ex-collège jusqu'à la rue Saint-Victor. L'unique bâtiment qui subsista servit successivement de magasins d'huile pour l'éclairage des réverbères des rues , de grenier à sel , d'école pour les Frères des Ecoles Chrétiennes , de dépôt pour les archives de la Ville de Paris . En 1845 il sert "provisoirement " à une compagnie de caserne de pompiers qui fermera en 1995 !!! . Le percement du Boulevard Saint-Germain en 1855 sous le baron Haussman acheva de faire disparaitre les derniers vestiges de chapelle qui depuis son abandon servait de carrière de pierre . Après la fermeture de la caserne de Pompiers de Poissy le Collège des Bernardins servira d'internat pour l'École de Police .
Sous l'impulsion du Cardinal Jean-Marie Lustiger , ce bâtiment classé monument historique en 1887 , est finalement racheté à la Mairie de Paris en 2001 par le Diocèse de Paris , afin d'offrir à la ville un projet culturel audacieux , au sercice de l'homme et de son avenir . Lancés à l'automne 2002 , les travaux ont été placés sous la double conduite de l'architecte en chef des Monuments Historiques , Hervé Baptiste , pour la partie ancienne conservée , et de l'architecte Jean-Michel Wilmotte , pour les aménagements contemporains .
Le Collège des Bernardins aujourd'hui .
Voici ce que l'on peut admirer aujourd'hui en visitant ce magnifique vestige médiéval :
Rez-de-chaussée La nef : Autrefois lieu de vie des moines, la nef accueillait les salles de cours, le réfectoire, la salle capitulaire… Bâtie selon l’architecture cistercienne, la nef a toujours été cloisonnée jusqu’à ce que le diocèse de Paris entreprenne les travaux en 2004. Longue de 70 mètres, large de 14 mètres et haute de 6 mètres environ, la nef offre donc pour la première fois cette splendide perspective. La statue du Christ, installée dans la nef au-dessus de l’ancienne sacristie, date du XIVe siècle. Elle a été retrouvée à l’occasion des fouilles dans les fondations du bâtiment. A ses côtés a également été retrouvée une statue acéphale de Sainte-Catherine de Sienne datant de la même époque. La nef, ainsi que l’ancienne sacristie, accueilleront les œuvres d’artistes à l’occasion des expositions d’art contemporain. L’ancienne sacristie : Sa construction a débuté en 1338 pour s’achever en 1360. Elle reliait l’Eglise des Bernardins au bâtiment des moines. Les fouilles archéologiques ont permis de retrouver ici la tombe d’un moine allemand de Thuringe, nommé Günter, décédé en 1306. L’ancienne sacristie mesure 12,5m de long, 10,7m de large et 9,5m de haut. Premier étage Au premier étage se trouvaient les dortoirs des moines. C’est aujourd’hui l’espace accueillant les bureaux administratifs ainsi que des salles de réunion. Second étage En 1844, le grand comble médiéval est détruit et remplacé par un toit à l’italienne, de forme aplatie. Les travaux de restauration ont permis la restitution, sur une charpente métallique, de la toiture originale. Elle est recouverte de près de 110 000 tuiles de six couleurs différentes. Il abrite aujourd’hui deux auditoriums. Le petit auditorium : Il comporte 128 places assises et accueillera des cours et conférences. La rosace visible dans cet auditorium date du XIIIe siècle. Sa préservation au fil des siècles a permis de refaire à l’identique celle qui se trouvait au sud du bâtiment, là où se situe le grand auditorium. Grand auditorium : D’une capacité de 250 places assises, cet espace accueille les séances de cinéma, des concerts, des conférences et des colloques. Il bénéficie des dernières avancées technologiques d’une régie complète. Les poutres en bois présentées ici sont des éléments de la charpente originale ; la dendrochronologie (méthode scientifique de datation du bois) a permis de préciser que ces poutres proviennent de chênes datant de 1150. Sous-Sol Cellier : Cet étage a subi très tôt les conséquences d’une construction sur un sol alluvionnaire. En effet, dès le XIIIe siècle, les moines ont dû installer des butons – dont un témoin a été préservé dans le couloir menant à la bibliothèque - contre les colonnes afin de réduire au maximum l’enfoncement du cellier. Très rapidement cela n’a pas suffi et le cellier a du être comblé de terre jusqu’à hauteur des chapiteaux. Les travaux ont donc consisté, entre autres, à consolider les structures à l’aide de micro-pieux enfouis sous les colonnes et sous les murs, puis à dégager le cellier. Deux des travées du cellier ont été cloisonnées, de façon à ménager des salles de cours et de réunion, auxquelles on accède par un grand déambulatoire.
Expositions, concerts ( dans la salle de musique aménagée dans le cellier ), ciné-clubs, conférences s'y succèdent . L'école cathédrale, établissement d'enseignement supérieur sur le christianisme offrant des cours de philosophie et de théologie y est installée. Et la «chaire des Bernardins» constituera le pôle de recherche du collège dans les domaines sociaux, éducatifs, économiques, éthiques et religieux. Art, rencontres, débats et formation sont les piliers du collège des Bernardins. Une bibliothèque , annexe de La Procure , propose une grande diversité des livres aux visiteurs . Quant à l'extérieur , un jardinet a été créé au sud du bâtiment , et les douves tapissées de lierre permettent à la bibliothèque , construite sous le parvis , d'être éclairée par la lumière naturelle . C'est le Pape Benoît XVI qui à l'occasion de sa visite à Paris inaugurera le Collège des Bernardins et prononcera un discours 600 personnes issues du Monde de la Culture en présence du Maire de Paris , Monsieur Bertrand Delanoë et du Cardinal-Archevêque de Paris Monseigneur Vingt-trois . Le Collège des Bernardins retrouve enfin en ce début de XXI ème siècle sa vocation première . Visitez-le , cela en vaut la peine .
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